
2/Roche humide.
D me regarde et finit son martini blanc. Ses yeux m'électrocutent. Elle a le regard d’un camé, de quelqu'un ayant fumé un nombre considérable de joints de manière inconsidérée. C'est son regard naturel. Et ce regard perdu vous donne usne sorte d'importance, vous êtes bien plus que Dieu, vous êtes tout. Ce regard peut vous faire dire, admettre, comprendre n'importe quoi. Et pas de la meilleure des façons, et de ça je me méfie. Pour "s'excuser de ce que j'avais rencontré" m'avait elle dit de derrière ses lunettes noires dans sa robe rouge à point blancs qui lui donnait l'un avec l'autre un air de veuve à Disneyland plus Floride que Paris. Elle me demanda d'accepter son invitation à boire ce verre avec elle. L'avaler dans un de ces bars de Nice où tout semble gratuit parce qu'on veut oublier qu'on se ruine pour des choses qui ne le méritent pas. Elle avait tenu à payer mes frais d’hospitalisation, je ne la remercie pas. Je lui avais demandé de m'expliquer ce qui m'était arrivé du moment A où j'avais perdu connaissance au moment B de mon réveil. Je voulais qu'elle me le dise là bas dans la chambre d'hôpital jaunâtre. Je menaçais a grand coup de révélation au prés de ses parents ou des flics. Elle savait que je ne l'aurais jamais fait. On ne peut résister à ce regard. Nous voila donc dans un bar hype, lounge. Une sorte de ramassis, un best-of nauséabond, de la culture pop, ambiant. Un truc que je ne digère pas bien. Ici ou un coca semble avoir quinze ans d'âge. On paie les illusions quand elles ne sont pas dans le désert. Moi je ne veux pas me permettre un coca à dix euros. Ce serait se torcher le cul avec ce qui nous tient durement à flots dans cette société, l'argent. Voir D se torcher avec l'argent de son père ne me pose aucun problème de conscience. Je lui en veux toujours pour ce royaume qu'elle avait créée, dont fait parti cette soirée perdue dans les collines et bien d'autre choses, où j'étais venu me faire décoller la plèvre au milieu des tables qui marchent, d'une femme à barbe et d'un robot technoïde. D semble toujours bien habillée : sur les photos, les vidéos et même dans la réalité face à soi, ce qui m'a toujours marqué bien que je n'y attache aucune importance valable. Bandante sans faire putain. Classe sans faire bureau. Mode sans faire victime. Elle se prend un deuxième martini blanc, sans que j’aie l'impression qu'elle aime ça. Je n'ai que goûté des lèvres mon champagne citron vert qu'elle avait commandé, sans essayer de savoir si ça faisait partie de mes gouts. J'ai dans l'idée de le boire d'une traite au bon moment. M'étourdir pour comprendre ma jeunesse. Le serveur lui fait un clin d'œil et va chercher son verre. Elle s'allume une cigarette et commence à me parler m’affirmant qu'en ce moment, elle ne va pas bien, qu'elle est tombée amoureuse d'une femme de vingt ans de plus qu'elle, que la couche d'ozone est en train de se trouer, qu'elle ne dort plus la nuit. Elle m'ennuie avec son besoin d'attention. Je demande quatre fois d'affilée une même question, calmement, avec compréhension et schéma voulant savoir ce qu'il m’était arrivé. Elle ne semble pas recevoir le son de mes paroles dans ses tympans. Je ne comprends pas pourquoi elle s'attache à moi, on s'était embrassé, il y a un an entre cinq verres et je suis persuadé qu'elle avait embrassé ce qui avait était embrassable ce soir-là. On se laisse des messages "sympathiques" sur Facebook. De quoi entretenir une possibilité sexuelle entre nous. Voila notre relation. Elle avale un cachet, médoc ou drogue, je n'en suis plus là. Pendant qu'elle m'étale son questionnement à propos de la défection lors d'un accouchement. « Mettre sa merde sur la tête de son enfant, c'est étrange ». Moi ce que je me demande c'est si elle ne commence pas à avoir une sorte de strabisme, son œil droit parait s'ennuyer. Une vive douleur à mon avant bras droit posé sur la table, j'atterris. Elle éteint sa cigarette sur cet avant-bras. Je l'enlève dans un mouvement de réflexe. Grimace en pressant ma main contre la petite plaie bouillonnante. Je la traite de connasse et lui demande pourquoi ça. Elle me répond qu'il n'y a pas de cendrier. Que par peur d'amende ils avaient enlevé tous les cendriers mais laissé les fumeurs fumer. Puisqu'ils sont riches. Je lui dis que puisqu'ils sont riches ils peuvent acheter les gens qui mettent les amendes et que ce qu'elle est en train de raconter est une tentative de fuite pour ne pas justifier le monstre qu'elle est. Elle me dit que les gens qui mettent les amendes sont pauvres. Je lui dis justement. Elle ne me dit « pas du tout ». Je lui dis « justement ». Elle me dit « pas du tout ». Je lui dis « justement ment ment ». Elle me dit « pas du tout tout tout ». Je dis « ok ». Elle me demande si je peux lui rendre service et filmer avec son portable son entrejambe sous la jupe, sans culotte sous la table. Je lui dis d'aller se faire foutre. Elle a perdu sa dimension féminine à ce point zéro du temps. Ce qui permet d'échapper un peu plus à son regard débilitant qui s'effondre par gros bouts.
Puis je ne sais pourquoi à cet instant précis j'ai une vue générale de cette fille. Et je me rends compte de son érosion accélérée. Où est passé D la gentille, censée, fofolle, respectueuse, concernée fille de ma deuxième jeunesse dans cette soirée pas si vieille que ça ? J’ai là sous les yeux D la déconnectée, égocentrique, délirante, schizophrénique, boudeuse, triste fille. Seul son bon goût vestimentaire semble avoir survécue. Le serveur pose le martini sur la table et enfonce son doigt dans la bouche de D comme si c'était sa queue. Elle fait comme si, laisse tomber sa tête en arrière et ferme les yeux. Le monde s'affaisse en une mauvaise série Z porno chic. Il finit cette fellation par procuration en lui glissant une pilule dans la bouche. Je veux savoir ce que c'est. Elle me dit antidépresseur. Je dis :
-Je vais pisser.
Je me lève, prend mon verre et l'engloutit comme imaginé. Le bout de citron vert dans la bouche, mordillant durant le trajet vers les toilettes que le barman m'indique. Des femmes murent à l'allure frustrées m'observent de leurs yeux liftés. J'imagine leurs hommes avec des jeunes mortes de faim.
Les toilettes sont comme le reste du bar, à vomir. Je crache sans arrêt le morceau de citron vert dans l'évier d'un blanc javel irritant. Une cabine ouverte en face de moi, je rentre, personne nulle part dans cette pièce malodorante, juste moi. Me demandant comment tout cela, D et moi ici, va se finir. Le silence des toilettes se rompt par le bouillonnement urinaire. Au travers de l'orage liquide, un bruit étranger métallique ni trop gros ou grand, qui semble glisser, frotter. Ma main gauche qui pend le long de mon bras gauche sent une chose humide et visqueuse. Ma tête se tourne lentement. Il a une sorte de trou dans la paroi de la cabine, au niveau du sexe. Un glory hole. Un trou glorieux, Un trou de la gloire. Pas un pauvre trou maladroit dans une paroi de contreplaqué, comme dans le flot de ces pornos glauques, non. Un trou caché par une gravure métallique coulissante. La gravure représente un phœnix en feu je crois. Ça me ramène aux secrets des "Mighty max", à mon enfance. Et par ce trou une langue lèche ma main avec avidité. Homme ou femme, impossible de dire. Il ou elle ne grogne ou ne gémit pas. Je me tâte pour savoir s'il est possible de sectionner la langue en refermant rapidement l'ornement coulissant. Puis je me dis que je cherche juste à être l'antéchrist rock n' roll, et ça, ça me ferais haïr plus encore ce que je suis déjà.
Quand je reviens à D, à notre table, je ne la regarde pas, je regarde une caméra de surveillance. Les musiques qui passent sont des reprises de vieux morceaux par des enculeurs musicaux. Je dirais des enculeurs faisant dans les dix morceaux jour, vu le niveau d'enculade. D me dit "Chris qui te tombe dessus, te crois mort, t'enterre au un vingt cinquième sur la pelouse du jardin, j'émerge de mon coma dans un placard, te vois, te crois mort, t'embrasse, tu respires, je prends la voiture de maman, t'emmène en bord de mer, te noies une seconde fois pour que tu es de l'eau de mer dans les poumons, je prends le chemin des urgences, renverse quelque chose, te laisse aux urgences". Digne d’un épisode de cette série que je déteste « les experts ». Mise en scène trop appuyée, résolution et cause surréaliste, surenchère du n’importe quoi. Finalement donc, rien de plus original. Je m'attendais à avoir servi de poupée gonflable vivante, sac à foutre pour les homos refoulés de sa soirée.
- Attends attends, tu as renversé un truc ?!
- Quelque chose Donnie, Quelque chose.
Je ne suis pas censé le savoir, j'étais inconscient. C'est un détail à oublier. Rien ne changera dans ce passé, que j'y pense ou non, que je sois bon ou pas. Il y a une odeur d'urine dans l'air. Mon regard cherche son origine. Mon regard fini sur cette vieille pédale, cinquante ans, à coté de moi, un peu plus loin sur un canapé pouffe, rouge. Costume blanc, cheveux plaqué plein d'un gel huileux, propre sur lui, dans la semi obscurité lounge. Il y a une larme qui coule de son œil droit. Sa main tremble légèrement, il boit, il marmonne ce que j'imagine être une prière. Même dans la couleur noir sous la table, son pantalon montre qu'il y a une tache sombre. Une petite flaque à ses pieds, habillés dans des chaussures de cuir noir qui brillent comme ses cheveux. Tout se rapporte au noir, l'urine elle-même.
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